INTERVIEW / ANNE DESIREE OULOTO, MINISTRE DE LA FONCTION PUBLIQUE
Départ à la retraite,
Les fonctionnaires qui trichent remboursent le trop plein de salaire perçu
« Nous ne pouvons pas recruter tous ceux qui veulent venir à la fonction publique »
Un ministre est nommé pour diriger un département ministériel, mais surtout pour apporter des réponses, comme dans notre cas, aux problèmes que nous avons dans la gestion des carrières des fonctionnaires. C’est pour cela que j’ai proposé au gouvernement de revoir la date de départ à la retraite des fonctionnaires. À la pratique, il m’a été donné de constater qu’il y avait énormément de difficultés. Notamment dans le cadre de la politique du départ à la retraite des fonctionnaires. J’avais à gérer deux catégories de départ. Il y a des départs considérés comme normaux pour tout le monde. Et les exceptions. Le principe était appliqué à tous ceux qui ne sont pas enseignants. Selon ce principe, le fonctionnaire, d’après sa date de naissance, part à la retraite à la fin du mois de sa date de naissance et est radié des effectifs au 1er du mois suivant. Je donne un exemple, vous êtes né le 20 avril, donc fin avril, vous êtes admis à faire valoir vos droits à la retraite. Et le 1er mai, vous êtes radié des effectifs de la Fonction publique. Tel est ce principe.
En ce qui concerne les enseignants, une exception a été décidée par les différents ministres qui se sont succédé à la tête des différents départements ministériels de façon générale, dans le secteur éducation/formation. Le motif essentiel évoqué était qu’en plein milieu d’une année scolaire, on ne peut pas changer d’enseignant qui a déjà une classe, même dans une classe d’examen. Si un enseignant est né en avril, il doit aller à la retraite à la fin de ce mois. Alors qu’il est supposé tenir une salle de classe, l’enfant qui voit son maître ou son professeur partir en plein milieu d’année scolaire, peut être naturellement désemparé, angoissé, stressé…Cette mesure, après des décennies, ne peut plus être valable. Si vous regardez la carrière des fonctionnaires enseignants, ceux qui sont enseignants craie en main ne sont plus dans les salles de classe après trente ans et plus de service. Ils terminent généralement, conseiller pédagogique ou inspecteur. Il a franchi plusieurs étapes dans sa belle carrière. C’est une préoccupation que nous avons dans la mesure où cette catégorie d’enseignants se retrouve dans l’administration centrale.
Lorsque dans cette administration centrale, vous avez des enseignants qui sont soumis à ce principe, cela nous crée une situation de deux poids, deux mesures. Quand vous dites à l’enseignant que vous êtes né en avril et qu’à la fin du mois, vous allez à la retraite, il répond pour dire que « je suis sous-directeur ou directeur, inspecteur, chargé d’études dans l’administration centrale, donc je veux qu’on m’applique la mesure des enseignants », alors qu’en réalité, il n’est affecté dans aucune classe.
Partout où vous avez des situations qui font intervenir l’homme, je le dis souvent, on a affaire au clientélisme, au favoritisme et la corruption peut naître aussi. Ces agents négocient avec leurs responsables des ressources humaines pour se voir appliquer l’exception qui s’applique aux enseignants. Or la date du départ à la retraite est celle qui est inscrite dans le système intégré de gestion des fonctionnaires et agents de l’État (Sigfae).
L’autre difficulté également que j’ai constatée, c’est la situation de ceux qui sont nés « en » et « vers ». Ils n’ont pas de date de naissance précise. Qu’est-ce qui prouve qu’il est né en janvier, février… ? Pour résoudre ces questions, les directions générales de la fonction publique et de la solde se sont accordées pour dire, à ceux-là, ils vont à la retraite à la fin de l’année. Est-ce que cela est juste ?
Toutes. Mais particulièrement celle qui répondait aux instructions du Président de la République, du Premier ministre et aux attentes du gouvernement. La réforme dans l’organisation des concours de la Fonction publique me met parfaitement à l’aise à la tête de ce département.
En effet, il y a eu une multitude de réformes, l’organisation des concours, des réformes liées à la formation avec une politique nationale de formation des fonctionnaires et les agents de l’État. Nous avons aussi la réforme liée à la gestion de l’usager-client avec des principes de célérité dans la gestion de tous les dossiers administratifs. Nous avons également la réforme de la transformation du service public avec la création d’une direction générale de la transformation du service public.
Ce sont autant de réformes, aujourd’hui, qui font que nous avons clairement le sentiment d’une forme de réconciliation entre l’usager-client et la Fonction publique. Nous avons le sentiment aujourd’hui que les Ivoiriens se sentent concernés par le service public et qu’ils découvrent mieux leur Fonction publique.
Effectivement, nous avons cette question des affectations ou des mises à disposition des fonctionnaires qui sont recrutés, qui sont formés et qui doivent rejoindre leurs administrations. Là aussi, nous avons de nombreuses difficultés (favoritisme, clientélisme, corruption…) dans la mesure où des fonctionnaires choisissaient leur ministère d’affectation. Aujourd’hui, cela n’est plus possible parce que dans le cadre des réformes, le ministère de la Fonction publique a mis en place un comité d’affectation présidé par moi-même.
Effectivement. Nous avons lancé pour l’édition 2023 des concours administratifs, et nous avons besoin d’être située avant la fin de ces concours sur le nombre exact de fonctionnaires que nous devons recruter. Tout cela va se décider dans les semaines à venir.
Je voudrais vous assurer que cette procédure de mise à disposition et d’affectation se porte beaucoup mieux qu’avant notre arrivée dans ce ministère parce que nous avons mis en place une politique de programmation des effectifs. L’on a le sentiment de recruter selon le bon vouloir du ministre, avec des chiffres pléthoriques. Non. Nous avons une conférence de programmation des effectifs qui nous permet chaque année de décider du nombre de fonctionnaires à recruter pour l’année n+1 en fonction des besoins des administrations et ce sont les ministres qui valident les besoins…Le Drh conduit donc en interne la politique de programmation. En cours de chaîne, le ministre valide, puis le ministre de la Fonction publique en liaison avec le ministre du Budget arrête définitivement le nombre de fonctionnaires à recruter selon les fonctions. Ce qui est consigné dans le catalogue des mesures nouvelles qui passent à l’Assemblée nationale sous l’autorité du ministre du Budget.
Je ne veux pas tomber dans l’autosatisfaction. Les faits parlent d’eux-mêmes. Par le passé, il fallait que le DRH fasse une décision de prise de service, qu’il remonte à la Fonction publique pour que cela soit acté dans le Sigfae, transmis à la Solde afin que ce fonctionnaire ait son premier mandatement. C’était long, c’était difficile. Aujourd’hui, dès qu’il prend service dans le Sigfae, son DRH inscrit qu’il a effectivement pris service. Cela remonte naturellement à la Fonction publique. Le processus du premier mandatement est ainsi déclenché.
Il y a cet engouement, mais il y a aussi la valorisation du fonctionnaire. Au début des années d’après indépendance, le fonctionnaire était vu comme ce haut cadre respecté partout. Quand un fonctionnaire était affecté dans un village, c’était la liesse populaire. Les fonctionnaires étaient enviés. Ils avaient une place de choix dans la société. Et puis, de ce qu’il m’a été donné de constater, il y a une sorte de découragement et de désintérêt du fonctionnaire. Le fonctionnaire est, à la limite, devenu un cadre de seconde zone dans nos villages. Nous avons travaillé sur le repositionnement, la revalorisation et le réarmement moral du fonctionnaire.
Dans le cadre de l’organisation des concours administratifs, l’on n’a plus besoin de payer pour entrer à la Fonction publique. Le fonctionnaire est désormais bien vu. Il faut qu’on continue ces efforts, bien sûr avec une forte implication des fonctionnaires eux-mêmes. En clair, je suis d’avis avec vous pour dire que les réformes mises en place et l’apport incommensurable du Président de la République ont aidé au réarmement moral du fonctionnaire. On doit continuer sur cette lancée parce que les défis sont encore énormes et d’importants projets sont en cours dont la signature électronique des documents qui exige professionnalisme, sécurité et sérieux.
Elle est assez avancée. Mais elle exige aussi la prudence. Il s’agit, avant tout, de la sécurisation des données personnelles de nos fonctionnaires. Nous voulons entrer dans le modernisme, agir avec célérité, mais en même temps, nous devons prendre toutes les assurances pour nous inscrire dans la durabilité. Aujourd’hui, nous sommes sur des phases pilotes. En 2024, on verra comment cela a fonctionné. Le système de sécurisation est-il fiable ? Il faut répondre à ces questions avant de porter la réforme à une plus grande échelle.
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