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Santé / Fistules obstétricales : Plus de 73 000 femmes en attente de soins (Enquête)

Avec seulement deux blocs opératoires, le Centre hospitalier régional de Gagnoa, hôpital de référence du Gôh, et l’un des neuf centres nationaux inscrit dans le projet ‘’prévention et traitement de la fistule obstétricale en Côte d’Ivoire’’, a du mal aux dires du personnel de santé, à s’occuper au quotidien des cas de fistules obstétricales.

Si le salut de ces femmes réside dans les caravanes d’opération qu’organise depuis plusieurs années maintenant, le Fonds des nations unies pour la population  (UNFPA), qui est l’agence directrice des Nations Unies en charge des questions de santé sexuelle et reproductive, avec notamment un financement de l’Agence coréenne de coopération Internationale (KOICA), le constat de terrain montre qu’aussi bien, bailleurs de fonds et personnels de santé sont confrontés aux dures réalités de la prise en charge des patientes souffrant de la fistule.

Etat des lieux des bailleurs de fonds.

La fistule obstétricale est selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’une des lésions les plus graves et les plus dangereuses susceptibles de survenir lors d’un accouchement. Au constat, il s’agit d’une perforation entre le vagin et la vessie et/ou le rectum, due à un travail prolongé ou obstrué sans accès à un traitement médical rapide et de qualité. Les causes peuvent être une blessure pendant l’accouchement, un cancer, une radiothérapie ou des complications chirurgicales. Compte tenu de la taille et l’emplacement de la fistule, des pertes vaginales nauséabondes peuvent apparaître ou des selles peuvent passer par le vagin. Certaines de ces fistules peuvent se refermer d’elles-mêmes, mais la plupart nécessitent une intervention chirurgicale.

En Côte d’Ivoire, aux dires du représentant adjoint du Fonds des Nations Unies pour la Population  (UNFPA), Mohamed Ahmed Abd, l’on décompte à ce jour, 73 856 femmes en attente d’une intervention chirurgicale pour espérer avoir la guérison.

« Ce sont des femmes qui étaient en train de souffrir en silence que nous avons réussi à sortir de leur retranchement et les amener à être actives dans la vie »,  déclare M. Mohamed.

Selon lui, la fistule est une maladie qui est spéciale. Elle est « invalidante » parce que la femme n’a pas la possibilité de travailler comme lorsqu’elle était en bonne santé. Au plan social, elle est ainsi diminuée. Au plan économique, elle n’a pas la possibilité d’accomplir non plus une activité économique et socialement, elle est exclue. Enfin, au plan médical, elle souffre.

« Bien qu’un travail soit mené, les cas de fistules continuent à croître », révèle M. Mohamed.

« Quand on parle de fistule, c’est parce qu’il y a un dysfonctionnement quelque part », fait observer Mohamed Ahmed. Il souligne qu’au niveau social, si la parturiente n’est pas allée voir une structure de santé à temps, et que le travail se prolonge durant 24 heures,  48 heures, voire plus… « Inexorablement, elle peut avoir une fistule ».

Il explique que malgré les différentes campagnes et caravanes menées par son institution sur le terrain, il y a eu certaines difficultés constatées. C’est le cas de l’insuffisance de mères qui se présentent pour bénéficier de kits d’opérations gratuites, et cela, bien que le service médical soit en place, comme durant la caravane qui prend fin en décembre 2024.

Le bailleur dit se retrouver face à d’autres cas de difficultés de prise en charge, où il n’intervient même pas médicalement. C’est notamment, le cas des femmes porteuses de fistules qui se cachent. Il faut parfois aller les dénicher très loin. Elles sont souvent dans des zones très reculées. Pour les avoir et surtout les convaincre à rejoindre un centre de santé, « il faut beaucoup de diplomatie, due au fait qu’elles ont vécu énormément de frustrations, et c’est souvent compliqué ».

Tout en déplorant des retards dans la prise en charge, il révèle que globalement, malgré les nombreux appuis du bailleur, 15% des accouchements font l’objet de complications et c’est naturel, quel que soit le pays au monde.

« Maintenant, ce qui fait la différence, c’est la capacité du système de santé à répondre à ces complications et à les prendre en charge », insiste l’agent UNFPA, précisant que plus on a un système de santé performant, plus on va diminuer le nombre de fistules. Parfois, les services de santé existent, mais la parturiente vient en retard, parce que les parents prennent tardivement la décision de se rendre au service de santé.

Sur ce point, Anne Ademola, 29 ans, est mère d’une fille et résidente à Mama (27 km de Gagnoa) dans la grande cour familiale avec beaux-parents, belles-sœurs et son conjoint. Elle révèle avoir contracté la fistule après l’accouchement de sa fille, le 07 mai 2021, à l’hôpital de Vavoua.

« Depuis 05 h du matin, j’étais au centre de santé de la sous-préfecture et la sage-femme a demandé de repartir à la maison, parce que l’accouchement était encore loin. Quand je suis retournée plus tard au centre de santé avant midi,  elle a encore demandé de patienter. Vers 15h, elle a dit que l’enfant était remonté et que je devais me rendre à l’hôpital de Vavoua. Une fois sur place, le gynéco a déploré qu’elle ne m’ait pas fait accoucher. Finalement, vers 19 h, ma fille est venue au monde, mais cela a été suivi de saignement. Le gynécologue a arrêté le mal. Mais une semaine après, le problème a repris. J’ai traîné le mal, et en mars 2022, le gynéco de Gagnoa m’a reçue et j’ai été informée qu’il s’agissait d’une fistule », raconte dame Adémola.

Elle a indiqué que le médecin lui a alors fait savoir qu’il s’agissait d’une maladie qui se joigne et qu’elle ne devait pas avoir peur.

« Je saurais plus tard qu’une caravane serait à Gagnoa en mai 2022. Malheureusement, en mai, je débutais une grossesse et en novembre 2023, j’ai accouché par césarienne. Finalement, c’est en mars 2023, que j’ai été opérée à l’hôpital de Bodo (route Tiassalé », raconte-t-elle.

« Pour moi, c’était les selles que je perdais. Je n’avais plus la télécommande de mon corps et je ne pouvais pas sortir, de peur de me salir et cela serait tout de suite, su dans ce petit village», a-t-elle déclaré. Tout le temps qu’a duré sa maladie, elle explique qu’elle s’arrangeait pour être toujours propre.  Elle a loué le soutien de son époux qui l’a soutenue tout ce temps sans jamais abandonnée;

Après sa guérison, elle a indiqué avoir reçu de l’UNFPA, des rudiments de la petite comptabilité et six bidons d’huile de 25 litres chacun, pour débuter une activité génératrice de revenus (AGR). Aujourd’hui, elle s’est reconvertie avec ses bénéfices dans la vente du vivrier.

« Je ne finirai pas de dire merci aux partenaires, parce que je ne savais pas où j’allais trouver deux millions de francs CFA pour réaliser l’opération. Je prie que ce projet se poursuive et qu’il ne n’arrête pas pendant dix ans encore », a plaidé l’ancienne patiente de la fistule obstétricale.

Les autres retards, c’est au niveau de la structure d’accueil…

Point focal de la prise en charge de la fistule obstétricale dans la région du Gôh, Dr Kpoulédé Christophe, relève au passage, les dures réalités qui marquent les grosses difficultés dans la prise en charge des patientes. D’abord, il y a un déficit de communication concernant la recherche active des malades.

« Ces patientes existent bel et bien, mais on n’arrive pas à mettre la main sur elles», regrette-t-il. Comme exemple, le chef du service de gynécologie du CHR de Gagnoa rapporte qu’en 2023, grâce à la radio communale, il a été découvert une mère qui portait une fistule depuis 22 ans et qui vivait dans la ville,  au quartier Dioulabougou.

« C’est grâce à la radio locale qu’elle a entendu, qu’elle est venue. Malheureusement, depuis quelques années, la radio n’est plus associée à la sensibilisation pour des raisons budgétaires »,  a déploré le Dr Kpoulédé.

Autres réalités soulevées, c’est celles des malades qui vivent très souvent dans des endroits reculés du département ou encore dorment dans des cases reculées du village. « La fistule est une maladie invalidante et surtout humiliante », fait observer le praticien, qui parle d’aller à la recherche des femmes malades en trouvant une autre approche qui permettrait d’atteindre ces femmes.

Quant aux patientes elles-mêmes, le site de Gagnoa pose problème, par rapport à leur prise en charge. Il explique que certes le bailleur paye le transport, les collations, mais que cet argent n’est pas disponible à temps, et au moment opportun. « Sinon, les bilans  biologiques, les radios sont prises en charge correctement», précise-t-il.

Dr Kpoulédé relève, par ailleurs, que Gagnoa est l’un des rares neuf centres de référence à n’avoir pas de pavillon fistule réservé aux femmes opérées de la fistule. Il a expliqué qu’ailleurs, il y a des femmes que l’on n’a pas pu opérer, qui n’ont plus de parents. “Ces femmes restent là et elles vivent décomplexées, dans le pavillon, comme c’est le cas à Séguéla ou à Man », a-t-il spécifié.

A Gagnoa, ces femmes, dès lors qu’elles n’ont pas été reçues dans le cas des opérations de routine, ont du mal à rester parmi les autres patients, femmes notamment, qui ne sont pas de cas de fistules. Elles se sentent sales, et disparaissent à la fin d’une seule journée, sans contacts téléphoniques.

« Et même si le procédé de localisation a débuté, ce n’est pas toujours facile d’aller sur le terrain, car il faut avoir les moyens pour aller les chercher et les retrouver dans leurs villages, » dit-il, évoquant quelques  difficulté telles le déficit d’information et la pauvreté des malades.

Le médecin-chef du service de gynécologie du CHR de Gagnoa note que les interventions chirurgicales constituent une autre réalité.

« Nous, nous avons été formés. Je suis dans le milieu depuis 2011, au point de devenir moi-même formateur national fistule. Mais il y a des cas que je ne peux pas opérer, de même que des collègues qui ont le même niveau que moi », confesse-t-il. Tout en relevant le plafond de compétences des chirurgiens, il relève aussi que certaines sages-femmes ont des insuffisances.

Le cas du personnel de santé.

Autre contrainte dans la prise en charge, c’est que certaines sages-femmes, exerçant dans des contrés reculées ont parfois des choses qui débouchent sur des complications suivies de cas graves de morbidité ou de fistule obstétricale. « C’est donc un cas de formation », insiste-t-il.

Le représentant adjoint de l’UNFPA, Mohamed Ahmed  recommande alors d’améliorer la prise en charge, de sorte que la femme puisse venir chercher l’appui médical très tôt. Il assure que ses services sont en train de travailler sur la question avec le gouvernement pour renforcer les capacités des prestataires de santé, mais aussi, tout ce qui est référencement pour que les femmes puissent arriver à temps, au centre de santéIl rappelle que c’est sur ces deux volets qu’il travaille avec le gouvernement, pour que les populations soient sensibilisées sur l’utilisation des services de santé.

Il a dit se réjouir que, grâce à la KOICA, plus de 16 millions de dollars US ont été injectés depuis 2012 dans le projet des femmes opérées de la maladie de la fistule obstétricale. Ces montants ont permis à 3 776 femmes porteuses de la fistule d’être opérées en Côte d’Ivoire, dont 523 cas en 2023. Rapportée à la région du Gôh où les caravanes opératoires ont débuté en 2014, un total de 336 patientes ont été opérées jusqu’à fin 2023. De ce nombre, il ressort que 313 l’ont été lors de 15 caravanes (entre 2014-2023) et sont guéries.

Point focal de la prise en charge de la fistule obstétricale dans la région du Gôh, Dr Kpoulédé Christophe note que ces chiffres peuvent être considérés « alléchants », au vu du taux de guérison de l’ordre de 83% (le pourcentage restant concerne les cas complexes qui n’ont pas connus de solution dans ce centre).

Concernant le cas des mères se trouvant dans les zones isolées, le praticien propose de diviser le département en de petites zones afin de permettre à son équipe munie  de matériels idoines, de se déplacer, au jour choisi, vers un centre de soins. L’objectif étant d’examiner les mères sur place, afin de déterminer parmi elles, celles qui sont malades de la fistule et celles qui ne le sont pas.  Cette approche aura l’avantage, dit-il, d’apporter une réponse à la problématique du déplacement des femmes très majoritairement en milieu rural, et indigentes, vers l’hôpital de référence, qu’est le CHR de Gagnoa.

Quant au renforcement des capacités du personnel soignant, Dr Kpoulédé a rappelé qu’en 2023, il y a eu un pôle de formation qui a permis de toucher plus de 85% des sages-femmes.

« C’est bien, mais il faut toucher toutes les sages-femmes, les impliquer, afin que chacune sache ce qu’il faut faire en cas de fistule », prévient-il.

« Malheureusement, il existe des sages-femmes qui ne savent pas reconnaître la fistule », fait-il savoir. Sans les condamner pour autant, il rappelle que lui-même, exerçant depuis 1999, n’a été confronté à des cas de fistules obstétricales qu’en 2011.

Face aux cas difficiles, pour lesquelles il dit que lui-même et certains de ses collègues ont des insuffisances, l’homme préconise l’appel à des experts à l’extérieur, « pour sauver ces femmes ». Si dans le milieu de la médecine, l’on parle parfois de cas de fistule devenue « inopérante » du fait des nombreuses complications et lésions provoquées par le mal, il assure qu’il y a des experts pour qui il n’existe aucunement de « fistule inopérable ».

Il a  indiqué qu’il y a encore de nombreux cas de fistules dans le pays, surtout parce que le nombre “d’accouchements difficiles » demeure important. Il existe néanmoins une solution pérenne, dit-il, qui est de rendre l’opération de la fistule, comme une activité de routine, où les mamans atteintes de la maladie pourraient se faire opérer, chaque fois que de besoin, plutôt que d’attendre les périodes de caravanes UNFPA/KOICA.

Comme solution médicale, Dr Kpoulédé invite la KOICA à ne pas arrêter son appui financier au projet de la fistule à la fin de 2024.

« Si on arrête maintenant ce sera difficile, parce que parmi les chirurgiens, certains partent à la retraite et ceux qui restent, certains se sont sentis désintéressés à un moment donné », assure le médecin.

Selon lui, ceux qui opèrent aujourd’hui ne sont plus assez nombreux. Il préconise alors que le projet se poursuive, que beaucoup de praticiens aient la main, de sorte que lorsque le ministère de la Santé passera au stade de routine, on saura que dans tel ou tel hôpital,

il y a du personnel compétent capable de prendre en charge des patientes. Les hôpitaux et centres nationaux inscrits dans le projet ne seront plus contraints d’attendre des caravanes pour opérer les mamans. Sur 336 mamans opérées en 2023, seulement 23 l’ont été en dix ans dans des cas d’opération de routine, donc en dehors des missions.

Pour atteindre la vision du gouvernement ivoirien, le ministre de la Santé, de l’Hygiène Publique et de la Couverture maladie universelle, Dimba Pierre Ngou, qui déclarait récemment, son engagement dans la lutte pour l’élimination de la fistule obstétricale à l’horizon 2030. Pourtant, le réservoir de femmes victimes de cette maladie augmente au fur et à mesure au fil des années, parce que l’incidence est d’à peu près 1% en Côte d’Ivoire, selon le représentant adjoint de l’UNPA Côte d’Ivoire, Mohamed Ahmed Abd.

Selon Mohamed Ahmed, encore beaucoup de femmes vont malheureusement contracter la maladie. Il est plus que nécessaire de poursuivre ce projet avec KOICA, mais aussi, avec d’autres bailleurs, dans le cadre de la recherche de financement additionnel, pour donner le sourire à plus en plus de femmes en Côte d’Ivoire.

Source : AIP

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