La contrefaçon en Côte d’Ivoire est une ombre grandissante qui plane sur l’économie. Au fil des années, cette menace insidieuse s’est étendue à presque tous les secteurs d’activité, y compris celui de la pharmacie, mettant en péril la santé des populations. Près de 100 000 décès par an en Afrique sont attribués à la consommation de médicaments contrefaits, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Les médicaments contrefaits, une gangrène qui fait des ravages en Afrique
Quelque 42% des médicaments en circulation en Afrique subsaharienne sont falsifiés, ce qui en fait la région du monde la plus touchée par ce trafic contrôlé par le crime organisé. Les criminels profitent du fait qu’à l’inverse du trafic de stupéfiants, le commerce de faux médicaments demeure largement impuni dans le monde, étant considéré comme un simple délit de violation de la propriété intellectuelle alors qu’il est responsable de centaines de milliers de morts par an, selon l’Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments (Iracm), basé à Paris.
En Côte d’Ivoire, les faux médicaments représentent 30% des ventes de médicaments, avec des pertes sèches d’environ 40 à 50 milliards de FCFA par an au secteur pharmaceutique légal et plus de cinq milliards de FCFA à l’Etat, révélait le 13 octobre 2017, le ministre ivoirienne de la Santé et de l’Hygiène publique d’alors, Dr Raymonde Goudou Coffie, lors d’un panel sur « La contrefaçon et la lutte contre les faux médicaments » dans le cadre du Salon « Pharmafrica expo ».
Les conséquences de cette circulation illicite de produits pharmaceutiques sont multiples et souvent catastrophiques. Des médicaments qui ne contiennent pas les substances actives nécessaires, des dosages incorrects ou même des composants toxiques remplacent parfois les remèdes authentiques, exacerbant les problèmes de santé au lieu de les résoudre.
Les citoyens qui, souvent par manque d’information ou par désespoir, se tournent vers ces médicaments contrefaits, sont exposés à des complications graves voire fatales. Les conséquences peuvent être aussi simples qu’une inefficacité thérapeutique ou aussi dramatiques qu’une détérioration sérieuse de l’état de santé, mettant parfois la vie des patients en danger.
Depuis 2017, l’OMS a abandonné le terme de contrefaçon, largement lié à la notion de droit de propriété intellectuelle, pour celui de « produit médical de qualité inférieure ou falsifié », plus adapté aux enjeux de santé publique.
Dans les villages isolés dépourvus de pharmacie comme dans les grandes villes, les médicaments délivrés sur ordonnance sont vendus librement, à des prix dérisoires. Certains médicaments consommés font oublier la faim, le sommeil et la douleur.
Impact sur la santé publique
Selon le docteur Kouassi Vincent, médecin- chef aux urgences du CHR d’Abobo Nord, les médicaments contrefaits représentent un danger sérieux pour la santé publique. Leur utilisation peut avoir des conséquences dévastatrices sur les individus et sur les systèmes de santé dans leur ensemble.
Pour lui, les médicaments contrefaits peuvent contenir des substances incorrectes, des doses inappropriées ou même être totalement dépourvus de principes actifs. Cela peut aggraver les maladies existantes, conduire à des complications inattendues et, dans le pire des cas, entraîner la mort.
« Mon apprenti roulait avec plusieurs chauffeurs sans se reposer, on l’appelait ici le cyborg. Avant de travailler, il avait des médicaments, je pense que c’est ce qui a précipité sa mort », révèle Karim, l’ex-patron de Yoyoro Yves, apprenti de minibus de transport communément appelé Gbaka, sur la ligne Abobo-Adjamé. Il révèle que chaque matin, son apprenti avalait deux comprimés rouge-orangé avec une boisson énergisante pour courir toute la journée. Yoyoro est mort un après-midi dans son gbaka, de cause inconnue, pendant qu’il encaissait le transport.
Dr Kouassi ajoute que des antibiotiques inefficaces peuvent aggraver une infection, des antipaludiques contrefaits peuvent rendre le parasite résistant, rendant le traitement ultérieur plus difficile voire impossible.
Selon le praticien, les effets des médicaments contrefaits ne se limitent pas aux conséquences sanitaires. L’argent dépensé pour ces médicaments inefficaces ou dangereux représente un gaspillage économique considérable pour les individus et les systèmes de santé. De plus, cela peut alimenter un cercle vicieux où les individus affectés par les effets néfastes des médicaments contrefaits peuvent être contraints de dépenser davantage pour des soins médicaux supplémentaires.
Les substances inconnues ou incorrectes présentes dans les médicaments contrefaits peuvent provoquer des effets secondaires indésirables et parfois graves. Cela peut inclure des réactions allergiques, des dommages aux organes, des troubles digestifs, des maux de tête voire des complications mettant la vie en danger.
Docteur Kouassi Vincent explique qu’un médicament contrefait destiné à faire baisser la pression artérielle peut contenir une substance qui l’augmente, mettant ainsi en danger la vie du patient.
Aussi, les enfants, les personnes âgées et les individus souffrant de conditions médicales complexes sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des médicaments contrefaits, en raison de leur système immunitaire affaibli ou de leur sensibilité accrue aux médicaments.
Aucun médicament n’est à l’abri de la contrefaçon, des plus innovants aux plus anciens, des médicaments de marques aux génériques.
Dans les rues d’Abidjan comme à l’intérieur du pays, contrairement aux pharmacies où l’on ne vend pas au détail, les médicaments de contrefaçon s’achètent à moindre coût, à la carte pour un traitement ponctuel, à crédit, ou selon ses moyens.
La lutte contre les médicaments de qualité inférieure ou falsifié, une volonté politique
En Côte d’Ivoire, le gouvernement a pris plusieurs mesures pour lutter contre la prolifération des médicaments contrefaits, dont le déguerpissement du plus grand marché de médicaments de contrefaçon d’Afrique de l’Ouest à Roxy, dans la commune d’Adjamé.
Aussi, l’avènement de la Couverture santé universelle (CMU) pourrait donc aider à venir à bout de ce marché informel. Mais il ne suffira pas à mettre fin aux trafics car les médicaments de qualité inférieure ou falsifiés sont en effet aussi présents dans les circuits formels, lesquels ne sont suffisamment sécurisés et manquent de moyens pour en contrôler la qualité.
Source : AIP
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