Par Serge Mathias Tomondji
L’éducation, a dit Joseph Ki-Zerbo, est « le logiciel de l’ordinateur central qui programme l’avenir des sociétés ». L’éducation est donc au cœur de tout et au centre de toutes les dynamiques qui tracent les sillons du développement des nations.
Mais on le sait, les systèmes éducatifs africains se trouvent malheureusement confrontés, depuis fort longtemps, à divers maux et problèmes que plusieurs symposiums, fora et autres réformes ont tenté de résoudre. En vain, dans la plupart des cas…
En effet, si des propositions et des recommandations brillent par leur pertinence sur le papier, elles jurent parfois dans leur mise en œuvre.
Pourtant, les maux des systèmes éducatifs africains sont connus et restent presque partout les mêmes : infrastructures insuffisantes et parfois inappropriées, incivisme et violence dans le champ scolaire, résultats en dents de scie, difficile accès des jeunes au marché de l’emploi, manque de vocation et d’éthique chez le personnel d’éducation…
Et ces dernières années est venue s’ajouter à la complexité de ces problèmes déjà récurrents, la situation créée par la pandémie de la Covid-19, qui creuse davantage les inégalités et handicape l’efficacité de l’offre éducative.
Cette pandémie a tenu des milliers d’élèves hors des écoles pendant de longs mois et même jeté hors des systèmes éducatifs nationaux de nombreux apprenants et enseignants.
Attention, urgence !
Comme si cela ne suffisait pas, la situation sécuritaire préoccupante du Burkina notamment, pris dans l’étouffoir d’un terrorisme qui continue de faire des victimes, a placé le pays dans une parenthèse plus que délicate.
Ainsi, selon un rapport publié en 2020 par le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), « plus de 12 millions d’enfants ont manqué jusqu’à quatre mois d’école dans la région du Sahel central — Burkina Faso, Mali et Niger — en raison des restrictions imposées par la Covid-19 ».
Au Burkina, l’année scolaire 2019-2020 notamment n’aura pas été de tout repos. En plus des restrictions imposées par la Copvid-19, le terrorisme a détruit tout un pan du dispositif éducationnel national.
Le pays a ainsi enregistré cette année-là, indique le NRC, un grand nombre d’attaques avec plus de 40 incidents signalés, dont des incendies criminels, des pillages d’écoles, des enlèvements, des menaces et des meurtres d’enseignants.
À l’échelle des trois pays du Sahel central (Burkina, Mali, Niger), « plus de 4 000 écoles sont restées fermées pour 776 000 élèves à cause de l’insécurité pendant l’année scolaire 2019-2020. C’est presque deux fois plus qu’en 2018-2019 », précise encore le NRC.
Face à ce tableau on ne peut plus préoccupant, les autorités nationales ne sont pas restées inactives.
La mise en place, en 2019, du Secrétariat technique à l’éducation en situation d’urgence (ST-ESU), chargé de mettre en œuvre la stratégie élaborée en la matière, participe à la dynamique pour une recherche de solutions alternatives.
D’autant que la loi n°013-2007/AN du 30 juillet 2007 portant orientation de l’Éducation stipule que le système éducatif national a pour finalité de faire du jeune Burkinabè « un citoyen responsable, producteur et créatif. Il vise essentiellement à assurer un développement intégral et harmonieux de l’individu ».
État des lieux…
Le Secrétariat technique à l’éducation en situation d’urgence fait ainsi régulièrement l’état des lieux des infrastructures éducatives fermées et réouvertes, et informe, conséquemment sur le nombre des acteurs (élèves et enseignants) affectés par ce phénomène.
Le dernier rapport indique notamment qu’à la date du 31 mai 2024, « le nombre de réouverture des structures éducatives préalablement fermées passe de 1 385 en fin avril 2024 à 1 382 en fin mai 2024 », ce qui a permis à « 268 643 élèves dont 133 547 filles et 9 368 enseignants, dont 2 946 enseignantes, de mener leurs activités d’enseignement et d’apprentissage ».
De même, alors qu’on enregistrait 395 établissements délocalisés pour raison d’insécurité fin avril 2024, on en a désormais 393 fin mai 2024.
Ces établissements scolaires délocalisés accueillent, renseigne le ST-ESU, 55 295 élèves, dont 28 396 filles, et 2 266 enseignants, dont 746 femmes.
Quant aux élèves déplacés internes inscrits ou réinscrits, on est passé de 432 755 le 30 avril 2024 à 432 390 le 31 mai 2024, dont 215 680 filles, soit une baisse de 365 élèves.
Il est bon de rappeler que le Burkina enregistrait le 31 janvier 2022, selon les chiffres communiqués par le Secrétariat technique à l’ESU, 3 405 établissements fermés, soit 525 299 élèves et 15 441 enseignants affectés par les situations d’urgence, consécutives aux crises sécuritaire, sanitaire et autres catastrophes naturelles.
Cette situation touchait alors 13,60% des structures éducatives du pays, impactant ainsi 249 173 filles et 276 126 garçons parmi les élèves, ainsi que 4 878 femmes et 10 563 hommes de tous les ordres d’enseignement.
Nouvelle stratégie…
Fort des résultats engrangés par le Secrétariat technique à l’éducation en situation d’urgence, le Burkina s’apprête à initier une nouvelle stratégie avec une approche plus globale et plus pragmatique.
On apprend ainsi qu’un nouveau document, actuellement en cours de préparation, « viendra remplacer la stratégie en vigueur arrivée à son terme et dont les objectifs ne répondent plus aux besoins actuels ».
Cette relecture « prendra en considération la sécurité des acteurs et des structures éducatives, la continuité de l’éducation dans les zones affectées, la coordination des interventions d’urgence et le financement de l’éducation en situation d’urgence ».
Il s’agit, de toute évidence, d’aller plus loin et de faire mieux que le programme finissant (2019-2024), « axé sur l’amélioration de l’accès à une éducation de qualité dans un environnement souvent instable ».
Pour le ministère burkinabè chargé de l’Éducation nationale, l’enjeu, désormais, est d’assurer… « un accès équitable à une éducation de qualité pour tous les enfants touchés par l’insécurité et autres crises ».
Une stratégie globale qui viendra sans doute s’insérer dans la vision programmatique d’un système éducatif renouvelé, qui réponde effectivement aux dispositions de la loi n°013-2007/AN du 30 juillet 2007 portant orientation de l’Éducation.
Tout cela a pourtant été rappelé lors des Assises nationales de l’Éducation nationale, tenues du 18 au 20 novembre 2021 à Ouagadougou.
D’ailleurs, plusieurs réformes, plans et programmes ont été initiés et mis en œuvre, notamment à l’issue des états généraux de 1994 et des Assises de l’éducation de 2002, sans grand changement sur la qualité du système éducatif national.
C’est donc plus que jamais le moment de fonder, ainsi que le souhaitait la rencontre de 2021, « un pacte national pour une éducation de qualité, inclusive et résiliente dans un contexte de crises sécuritaire, sanitaire, économique et sociale ».
Remettre le logiciel à jour…
Il faut donc hardiment remettre à jour le logiciel de l’éducation, ordinateur central dont Joseph-Ki-Zerbo nous a instruit qu’il programme l’avenir des sociétés.
Et pour y arriver, pourquoi ne pas nous convaincre enfin qu’il est important et plus que temps de mettre chacun à contribution afin que dirigeants et acteurs s’investissent sans faille dans l’avenir du pays ?
Tous les sacrifices devraient donc être accomplis pour que les enfants de tous bords et de toutes conditions accèdent à l’éducation, base essentielle du développement de toute nation.
En attendant de découvrir les couleurs de la nouvelle Stratégie nationale de l’éducation en situation d’urgence, chacun doit garder à l’esprit que c’est tout le système éducatif national qui a besoin d’un remède de cheval.
Au-delà des défis qui, sans cesse, nous pressent de toutes parts, il faudra impérativement prendre le taureau de l’éducation par les cornes de l’action pour que, foi de Nelson Mandela, elle reste… « l’arme la plus puissante pour changer » notre cher Burkina.
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